L'écriture comme porte d'entrée
Les chanteurs qui se laissent tenter par une carrière au cinéma sont légion, et Grand Corps Malade n'a pas fait exception à la règle. Il faut dire que le cinéma représentait une aventure tentante pour lui qui manie si bien la plume et qui apprécie les beaux textes. Dans un premier temps, le septième art s'est intéressé à lui de par la discipline qu'il a contribué à populariser : le slam, à la frontière du rap et de la poésie chantée (ou spoken word), né dans les années 1980 à Chicago. Quand ses premiers succès sont arrivés, notamment grâce à l'album "Midi 20" en 2006, le cinéma a commencé à se pencher sur le slam lui aussi. Le chanteur s'est ainsi retrouvé mis à l'honneur dans deux documentaires : "Slam, ce qui nous brûle" en 2007, et "93 : La belle rebelle" en 2010.
Cependant, ce qui a également séduit le septième art, c'est l'autre atout du chanteur : sa voix de basse à la fois grave et chaleureuse, conséquence d'une trachéotomie subie après le terrible accident dont il a été victime en 1997. Cette voix a fait de lui un nom demandé par les studios de doublage. On peut ainsi l'entendre dans plusieurs dessins animés au cours de la dernière décennie : en 2010, il prête sa voix à Rictus, poupée en forme de clown et nouveau personnage de l'univers Pixar dans "Toy Story 3". En 2014, il reprend le rôle de Joe dans le film adapté de l'album-concept "La Mécanique du cœur" de Mathias Malzieu et Dionysos, aux côtés d'Olivia Ruiz, Jean Rochefort ou encore Alain Bashung. Enfin, on peut aussi l'entendre en 2017 dans "Sahara", accompagné d'une distribution vocale de prestige : Omar Sy, Louane (avec laquelle il a déjà travaillé par le passé), Jean Dujardin, Ramzy...
"Patients" : l'heure de la révélation
Avec un tel amour des mots, la transition de Grand Corps Malade de la musique au cinéma devait inévitablement se faire par l'entremise de la littérature. L'opportunité se présente suite à la publication de son premier roman, "Patients", en 2012. Récit autobiographique évoquant ses mois de rééducation suite à l'accident qui a failli lui coûter la vie à l'âge de 19 ans, cette chronique des moments de joie et d'infortune vécus avec ses colocataires d'hôpital a connu un vif succès à sa sortie, dépassant les 100 000 ventes en à peine quelques semaines. Le cinéma français se penche alors sur une éventuelle adaptation de l'ouvrage pour le grand écran, projet qui aboutira en 2016. L'initiative vient à l'époque de la scénariste Fadette Drouard, qui contacte Grand Corps Malade pour lui proposer de travailler ensemble à la transcription du livre sous forme de scénario. Tourné dans les mêmes locaux que ceux dans lesquels le chanteur a suivi sa rééducation, un centre spécialisé dans les handicaps lourds dans le village de Coubert en Seine-et-Marne, le film "Patients" sera en fin de compte une histoire de famille.
L'interprète des "Voyages en train" ne souhaitant pas jouer l'acteur, il passe derrière la caméra avec l'aide d'un de ses plus proches collaborateurs et amis : Mehdi Idir, qui a réalisé la plupart de ses clips. Réunissant un casting d'acteurs à l'époque méconnus du grand public parmi lesquels Pablo Pauly et Alban Ivanov, "Patients" sort sur les écrans français le 30 mai 2017. Le succès est lui aussi immédiat, faisant du film l'une des belles réussites du cinéma hexagonal cette année-là, avec près de 1,3 millions de spectateurs en salles. Récompensé dans plusieurs festivals, le film est également adoubé par les institutions en décrochant quatre nominations aux César, dont celle du meilleur film.
"La Vie scolaire" : le temps de la confirmation
Un tel galop d'essai ne pouvait pas rester sans lendemain, et c'est sans difficulté que Grand Corps Malade se lance, dans la foulée de "Patients", dans l'aventure de son second long métrage. Cette fois, ce sera le grand saut dans l'inconnu avec un scénario original et non autobiographique, bien qu'inspiré de ses souvenirs de jeunesse avec Mehdi Idir. Les deux hommes se tournent alors vers l'époque du lycée, en gardant les recettes qui ont fait le succès de leur premier film : une narration chorale, beaucoup d'humour, et un esprit feel-good pour souligner l'apport essentiel d'un corps de métier dans la vie quotidienne du pays. "La Vie scolaire" propose ainsi de s'immerger dans un lycée classé en zone d'éducation prioritaire à Saint-Denis aux côtés d'une nouvelle conseillère principale d'éducation, fraîchement mutée de l'Ardèche dont elle est originaire.
S'ils envisagent dans un premier temps de confier ce rôle à Soufiane Guerrab, l'un des acteurs de "Patients" (qui incarne finalement le professeur de mathématiques du lycée), leur choix se porte finalement sur Zita Hanrot, révélée par le succès du film "Fatima". Porté par un sujet universel, "La Vie scolaire" répète le succès de "Patients" et plus encore, battant son score au box-office avec 1,8 million d'entrées. Deux premiers films millionnaires, l'exploit est suffisamment rare pour être souligné. Avec sa touche et sa personnalité, Grand Corps Malade a ainsi su séduire le public en tant que réalisateur, après l'avoir conquis en tant que chanteur.