Un événement majeur de l'histoire récente irlandaise
Comme son nom l'indique, "Sunday Bloody Sunday" évoque une page sombre et sanglante de l'histoire du XXe siècle de l'Irlande du Nord. À partir de 1968, le pays est ravagé par une guerre civile entre les protestants loyalistes, majoritaires dans le pays, et la minorité catholique républicaine, qui s'estime victime de discriminations sur la base de sa religion. Le conflit nord-irlandais atteint son apogée le dimanche 30 janvier 1972 : au cours d'une marche pour les droits civiques dans le quartier de Bogside dans la ville de Derry, l'armée ouvre le feu sur les manifestants et les passants alentour. Treize personnes, dont sept adolescents, meurent sous les balles tandis qu'une quatorzième victime décédera de ses blessures quelques semaines plus tard. Le Bloody Sunday reste comme le plus grand traumatisme du conflit nord-irlandais, et sa fusillade la plus meurtrière.
Un morceau empli de colère
L'histoire de la chanson "Sunday Bloody Sunday" débute quant à elle en 1982, pendant la production de l'un des plus grands albums de U2, "War". À l'époque, le groupe connaît une courte pause du fait du mariage récent entre Bono et Ali Hewson. Pendant ce hiatus, The Edge, le guitariste, travaille sur quelques mélodies avant de trouver le riff célèbre qui ouvre la chanson. "Sunday Bloody Sunday" porte principalement la marque de The Edge, qui compose un morceau qu'il veut rempli de rage pour témoigner des doutes qu'il traverse à l'époque, aussi bien dans sa vie créative que privée. Au fil de la réécriture des paroles par Bono, la référence directe au Bloody Sunday s'estompe, le morceau évoquant aussi un autre Bloody Sunday, celui de 1920, une journée d'insurrection à Dublin au cours de la guerre d'indépendance de l'Irlande qui fit plus d'une trentaine de morts.
Un morceau pacifiste et universel
Il faut dire que le cœur du message de "Sunday Bloody Sunday" est avant tout pacifiste. Le premier couplet, le plus célèbre, s'interroge sur le cycle de violence dans lequel l'Irlande et ses voisins semblent s'enfermer depuis des années. Un cycle fait de morts inutiles, mais aussi de messages de paix entonnés en vain et de familles détruites à jamais. Sans jamais citer le Bloody Sunday autrement qu'au cours du refrain, la chanson prend une posture universelle qui ne l'a pourtant pas toujours été. La première mouture de la chanson était résolument plus engagée, notamment en critiquant l'IRA, l'armée républicaine irlandaise qui se distingua par de nombreux attentats médiatisés contre la présence britannique en Irlande du Nord. Elle devait s'ouvrir notamment sur la phrase suivante : "Don't talk to me about the rights of the IRA, UDA", c'est-à-dire "Ne me parlez pas des droits de l'IRA et de l'UDA" (l'Ulster Defence Association, une organisation paramilitaire quant à elle dans le camp des loyalistes).
Un accueil polémique
Lorsque "War" sort dans les bacs le 28 février 1983, le groupe est inquiet de la réception que va avoir le morceau, malgré les ajustements et l'édulcoration des paroles pour les rendre moins radicales. Au final, U2 reçoit des critiques minoritaires venues des deux camps : certains les accusent de critiquer la violence du camp républicain et de l'IRA et de se placer comme les défenseurs des événements du Bloody Sunday. À l'inverse, le groupe est aussi critiqué pour avoir abusivement glorifié les martyrs du Bloody Sunday. En fin de compte, l'impact de ces critiques est très isolé et n'influe en rien sur le triomphe du titre. Il en subsiste cependant des traces dans ce qui reste la version live la plus iconique de la chanson. Le 8 novembre 1987, pour les besoins du documentaire "Rattle and Hum", U2 donne un concert à Denver le jour même où l'Irlande du Nord est secouée par un nouvel attentat de l'IRA, lors du Remembrance Day, une journée commémorative de l'implication des armées britanniques dans les deux guerres mondiales. Excédé par la nouvelle, U2 se lance dans une version enfiévrée de "Sunday Bloody Sunday" que Bono interrompt en plein cours pour se lancer dans une diatribe contre les exactions de l'IRA, dont les lobbies sont pourtant influents aux États-Unis.
Un triomphe public et critique
Il ne fait aucun doute que "Sunday Bloody Sunday" a fait pour beaucoup dans la renommée internationale de U2, jusqu'ici avant tout connu des amateurs de rock au Royaume-Uni. Le morceau fait une percée à travers l'Europe, particulièrement aux Pays-Bas où il atteint la troisième place des ventes. Mais c'est surtout aux États-Unis que le titre fait connaître U2, tout comme "New Year's Day". Les deux chansons aident l'album à se vendre à plus de huit millions d'exemplaires à travers le monde. C'est le début d'une longue série d'albums multimillionnaires dans les charts. Encensé par la critique rock à travers le monde, "Sunday Bloody Sunday" est devenu un des hymnes du groupe en concert. Il a reçu l'honneur d'intégrer la liste des 500 meilleures chansons de tous les temps du prestigieux magazine Rolling Stone.